Petits Déjeuners Design #5

Rose Dumesny

13 janvier 2021 à 9:30

Rose Dumesny est designer et chercheuse. Son parcours est peu commun puisqu’elle a fait une thèse en Sciences de l’information et de la communication. À travers ses travaux de recherche, elle a utilisé le design comme une pratique de médiation. 

Lorsqu’elle commence ses études, Rose n’a pas de connaissance en recherche. Après une formation en arts appliqués à Olivier de Serres, elle fait un master en stratégie du design. Au fil de ses études, elle a été vers le design d’interaction. En 2014, Rose entre en stage chez Orange dans un laboratoire de sciences humaines. Avec une autre designer, elle est chargée du développement du design numérique du laboratoire. Elle se questionne alors sur la manière dont le design peut accompagner des pratiques de recherche.

À la découverte des SIC (sciences de l’information et de la communication)

À la fin de ce stage, Rose commence son projet de thèse en design numérique. C’est un moyen de continuer à travailler avec une équipe qu’elle apprécie et surtout de découvrir un nouveau monde qu’elle ne connaît pas : la recherche. Elle a eu quelques difficultés à trouver un directeur de recherche en design car il y en a peu. Pour la plupart, ils ne sont pas designers mais ont étudié le design. Le design n’étant pas une discipline universitaire en France, il faut que les thèses en design soient inscrites au répertoire d’une université dans une autre discipline comme l’informatique, la sociologie, l’ergonomie ou encore les SIC. La thèse de Rose a été encadrée par Stéphane Vial (Philosophe des techniques) et Catherine Ramus (Ingénieure Designer chez Orange Labs). Il n’est pas rare que les doctorants en design choisissent une discipline de rattachement par défaut sans en connaître les codes et les attentes académiques . Pourtant lorsque la thèse est relue par les rapporteurs, elle doit être en cohérence avec ces attentes et avec les problématiques de cette discipline, ce qui peut rendre les choses périlleuses pour le doctorant. Rose avait décidé de faire une thèse en design et elle a été orientée vers les SIC par Stéphane Vial, son directeur de thèse. Elle ne connaissait pas cette discipline relativement jeune et la définit dans son cas comme une sociologie des systèmes et des techniques de l’information. C’est aussi le caractère numérique de ses recherches qui a orienté sa thèse qui s’intitule Médiation sensible : ouvrir la boîte noire du smartphone par le design vers les SIC. Pendant sa thèse, Rose découvre que les SIC et le design cohabitent très bien. Les deux disciplines se connaissent sans trop le savoir. Bien souvent, les chercheurs en SIC sont passionnés par le design et le design numérique, d’interaction correspond bien aux SIC. Les chercheurs sont très ouverts sur de nouvelles méthodologies et travaillent sur les objets techniques et les environnements numériques.

Un lien fort entre l’objet et le numérique

La question de l’objet et du numérique est un fil rouge dans le parcours de Rose. En DSAA, elle a effectué son projet de diplôme sur des objets à la frontière entre des objets de mobilier et le numérique. Avec deux camarades, elle a créé Clico, un jeu de construction en réalité augmentée qui permet de donner vie à l’objet construit par l’enfant grâce à une application mobile et une tablette.

Au début de sa thèse, elle a été marquée par cette phrase d’Anthony Masure, un enseignant-chercheur en design.

“Autrement dit, cette troisième strate « critique » pourrait avoir pour tâche de faire paraître l’époque, de lui « donner forme » de façon sensible, au-delà de tout discours.”

En tant que designer, il y a plein de moyens d’envisager sa pratique du design et Rose aime beaucoup l’idée de “donner forme pour faire paraître l’époque”. C’est ce qu’elle essaye de faire transparaître dans son travail. 

1 travail de recherche, 3 cadres

Dans son travail de recherche, Rose pose trois cadres qui vont lui permettre de mener sa recherche : le cadre théorique, le cadre méthodologique et le l’objet d’étude. Le cadre théorique est celui de la définition d’une médiation sensible au numérique. . Pour le cadre méthodologique, elle décide d’utiliser le design ludique et les Cultural Probs (une technique utilisée pour mener des enquêtes et des entretiens en passant par des objets). Son objet d’étude a été l’utilisation des smartphones.

Rose s’est appuyée sur le concept de probs mis en place par Bill Gaver, qui a imaginé que l’on pouvait concevoir des objets pour des enquêtes. Ces objets conçus pour faire de la recherche permettraient de mener des enquêtes. La question était de savoir comment la médiation pourrait permettre d’ouvrir les boîtes noires que sont les smartphones. Rose est parti du constat que ce sont des objets que l’on utilise quotidiennement sans se demander ce qu’il y a à l’intérieur, alors que l’on confie toutes nos données aux GAFAM. Elle s’est demandé si ce n’était pas un problème de médiation, d’incompréhension de ce qu’il y a derrière. 

Trois choses étaient importantes dans le projet : il fallait pouvoir manipuler les écosystèmes contenus dans les boîtes noires et ensuite créer une conversation avec les participants.

Deux dispositifs ont été utilisés pour résoudre les hypothèses : Datapics et BlackOut. Datapics permettait de mettre en forme et en matière les usages du téléphone et de créer un atelier d’expression où les participants racontaient la manière dont ils utilisent leur smartphone. 

BlackOut est un ensemble de modules qui rendent visibles les capteurs du téléphone. Les résultats principaux étaient de chercher les effets d’une médiation sensible sur les participants. Deux effets ont été identifiés. L’atelier a permis aux participants de s’approprier la boîte noire technologique et de comprendre comment nous sommes liés à nos smartphones. Cette appropriation a aussi permis une meilleure compréhension. Les participants étaient capables de décomposer les choses et de les rendre plus lisibles.

Rose a utilisé la photographie, le dessin pour ne pas être uniquement chercheuse mais rester designer. 

Selon Rose, “ on peut documenter de manière plastique et graphique un travail de recherche. Le design n’est pas qu’un passage brut entre la théorie et la pratique. Il y a quelque chose qui s’interconnecte et en tant que designer, on peut apporter quelque chose à la recherche qui ne soit pas que de la théorie mais va au-delà des mots.” Il est selon Rose aussi possible d’humaniser les technologies et les systèmes complexes.

À la recherche d’un équilibre entre recherche et design

À la fin de sa thèse, Rose n’a pas eu envie de faire une carrière universitaire. Une question demeure depuis : comment concilier la recherche et l’opérationnel ? Elle hésitait entre un retour au design ou à se consacrer pleinement à la recherche. Entre rester freelance ou intégrer une entreprise, il a fallu choisir. Lorsque l’on est en freelance, il est difficile de garder du temps pour la recherche qui passe souvent au second plan. En 2020, Rose a rejoint frog et elle travaille aujourd’hui sur la continuité entre le design et la recherche au laboratoire frog Lab. Avec une équipe de chercheurs et des designers, elle travaille sur des sujets différents mais qui ont en commun de se questionner sur le design. Dans ce laboratoire, Rose continue à faire de la recherche tout en étant sur des projets plus concrets et opérationnels.